L'amour et l'occident - Denis de Rougemont



Il est des livres qui sauvent la vie.

Dans un essai poétique constamment réimprimé depuis l'édition définitive de 1957, Denis de Rougemont s'attaque à la seule question qui compte.
Pourquoi aimons-nous ?
Et surtout, pourquoi souffrons-nous lorsque l'amour s'arrête, pourquoi sommes-nous fascinés par cette douleur au point de la chérir secrètement ? Pourquoi la douleur d'amour nous obsède-t-elle au point d'irriguer toute la production culturelle de l'occident depuis... Depuis quand déjà ?
Depuis qu'un texte est apparu, comme surgi du néant (ce qu'il n'est pas, comme le montre l'auteur) dans les premiers temps du XIIe siècle. Un texte fondateur, un texte qui dit le secret de l'âme occidentale, Tristan et Iseut.
Il ramasse plusieurs traditions et son archéologie remonte aux premiers temps des religions monothéistes de l'Iran ancien via cathares, bogomiles et manichéisme.
Le mythe tristanien recèle en son cœur une doctrine secrète, la fascination de la Mort, de la Grande Nuit, dissimulée sous le masque de l'Amour. L'amour courtois codifie en un rite la douleur de la séparation des amants, celle qui est secrètement désirée pour mieux jouir de la passion. Cette histoire c'est, littéralement, le cœur vivant de la Littérature depuis plus de huit siècles.


L'ouvrage qui suit, Les mythes de l'amour, montre la dégradation du mythe tristanien jusqu'à la romance hollywoodienne. Il suit au plus près l'histoire du sentiment amoureux à travers les siècles. Ces deux maîtres-ouvrages disent comment la Culture prend en charge l'évolution de ces formes dans l'histoire des mentalités. Qu'elle est un vademecum qui in-forme le sentiment amoureux. Qu'elle enseigne sentiments et comportements. Comment chacun d'entre nous apprend quoi ressentir et penser.
Ce qui travaille au plus intime, ne semble être que la répétition de comportements 
assignés et enseignés par la Culture dans toutes ses formes, par le leitmotiv ad nauseam de la Passion, forme indépassable de l'érotique du couple et de l'amour. Chacun rejoue à son insu et à sa manière, une même partition, apprise dès son plus jeune âge par la reproduction des mèmes.
Je suis moins convaincu par le deuxième objectif de l'auteur, à savoir revivifier une tradition par l'invention du mariage chrétien, le remplacement de l'éros manichéen par l'agapé chrétien. 
Et puis l'énonciation a un peu vieillie, le style est un peu daté.
Pourtant, au-delà de ces détails, malgré les critiques des historiens qui étrillent l'analyse de Denis de Rougemont, L'amour et l'occident garde un pouvoir de 
fascination intact. Peu soucieux de ces vétilles, il s'attache à décrypter la dimension poétique de l'existence et en ce sens, il est un ouvrage absolument libérateur, par-delà les décennies.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Sobibor - Jean Molla

Petite Poucette - Michel Serres

Le cycle d'Hypérion - Dan Simmons