La la land (Damien Chazelle) / Moonlight (Barry Jenkins)




L'histoire est connue : La la land archi favori pour rafler le maximum de statuettes aux célébrations américaines, après être montée sur le plateau son équipe s'est vu obligée de redescendre avec tout son petit monde, le meilleur film étant finalement attribué au moins flamboyant mais bouleversant Moonlight.

Au-delà de l'anecdote (qui dit, en fait, exactement ce que je pense), le plus intrigant est de voir réunis ces deux films qu’apparemment tout sépare : grosse machinerie / film indé, stars en voie de panthéonisation / acteurs quasi inconnus, comédie musicale joyeuse et entraînante / drame dépressif, blancheur partout / communauté afro-américaine durant tout le film, on pourrait multiplier à l'envi les oppositions.
Allons plus loin, La la land et Moonlight au delà de ces oppositions formelles ne sont-ils pas les deux avatars de la même fascination que la culture américaine entretient avec la solitude des êtres ?

La la land raconte l'histoire de deux wannabe montés à LA en quête de rêves et de grandeur. Elle sur les planches, lui à monter un grand club de jazz. Le réel résiste, mais ils ne cessent de se croiser pour mieux tomber dans les bras l'un de l'autre. Alors c'est sûr, Emma Stone est craquante (même si son jeu un peu trop appliqué ne justifiait pas un Oscar), Ryan Gosling rejoue une nouvelle fois sa partition de pierrot taiseux, tout en dansant avec légèreté.
Mais les rêves et les compromis de la vie les éloignent l'un de l'autre alors qu'ils réalisent, par des voies tortueuses et détournées, leurs ambitions.
Lors de la scène finale, alors que chacun a suivi son chemin et semble avoir réalisé ses rêves, Mia et Sébastian se rencontrent dans le club dont il est le propriétaire. Celui-ci, reprenant alors au piano la chanson qui rythme le film, donne à voir la vie rêvée des deux héros, celle où ils auraient pu conjuguer amour et ambition, véritable réécriture du film dans le film. C'est l'autre film, celui que Chazelle n'a pas tourné, celui du bonheur, du fantasme, cette histoire des gens sans histoires, qui ne se trompent pas et qui prennent les bonnes décisions, celles que l'on se maudit de ne pas avoir prises alors qu'il est trop tard. Cette vie qui les hante, comme une "petite musique" lancinante. Un film fantôme.




Cette longue séquence répond à la scène d'ouverture du film, formidable plan-séquence de comédie musicale, old-school assumée, sur une autoroute surpeuplée, véritable mise en scène des promesses que la vie dispense aux héros qui ne connaissent pas encore leurs destins.





La boucle est bouclée, la vie a tranché.

La la land est ainsi un film profondément sombre, qui cache mal que la vie s'obstine à séparer les êtres qui s'aiment. La joie qu'il dispense tout au long n'est que la politesse du désespoir.






Moonlight est découpé en trois chapitres de la vie de Chiron.

Le jeune enfant trouve ce qui ressemble le plus à un père de substitution en la personne du dealer de sa mère.
Adolescent, mal dans sa peau, Chiron est moqué pour n'être pas "cool", à l'aise, porteur de son inquiétante étrangeté, celle de l'ado qui se sent tout, sauf à sa place. Et pourtant une étreinte fugitive, un soir sur une plage avec un autre garçon scelle son destin.
L'adulte sort de prison. Massif et transformé, il retrouve son amant d'un soir. Puissant et gauche, il se dévoilera jusqu'à pouvoir, enfin, poser sa tête sur une épaule aimante dans une bouleversante scène finale, climax émotionnel pour lequel les mots manquent. Le film, suffocant de bout en bout, raconte l'histoire d'un être profondément étranger au monde et à lui-même, qui doit traverser l'enfer d'une vie où chacun ne cherche qu'à sauver sa peau, afin de pouvoir se trouver et rencontrer, enfin, quelqu'un.

Traitant chacun de la solitude des êtres, La la land est un film joyeux à la morale désespérante, alors que Moonlight est d'une tristesse infinie mais ouvre sur le possibilité du bonheur, à tout le moins de l'espoir de celui-ci.

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