Le Grand pouvoir du Chninkel - Grzegorz Rosinski et Jean Van Hamme






Vous cherchez une histoire qui combine souffle épique, parabole sur la société actuelle, relecture du Nouveau Testament, grandes batailles, tension sexuelle et fin (forcément) tragique ? Le Grand pouvoir du Chninkel est tout cela et bien plus.
Le Grand pouvoir du Chninkel est pour vous car il est pour tout le monde et même les autres.

L'histoire : J'on est un Chninkel c'est-à-dire un esclave, un moins que rien, de la chair à canon pour ce monde en guerre perpétuelle qu'est Daar. Lors d'un des multiples carnages où s'affrontent les partisans de Bar-Find Main Noire, de Jargoth le Parfumé et de Zembria la Cyclope, J'on survit miraculeusement, sans une égratignure, sous un monceau de cadavres.
Et là, U'n, le dieu des des dieux, le dieu ultime, lui apparait et lui impose une exorbitante mission : si dans cinq croisées de soleil, lui, J'on, n'a pas réalisé l'unité et apporté la paix à son monde, alors Daar disparaitra dans une apocalypse de feu. Un peu comme si de nos jours, une amibe apparaissait à un sans-papier solitaire sur une plage de Sangatte en lui disant que la Terre sera réduite à néant si dans soixante jours il n'a pas résolu le conflit israelo-palestinien... J'on, tremblant de soumission, fait remarquer qu'il n'est rien dans ce monde. Alors, U'n, dans sa haute condescendance lui attribue "le grand pouvoir". Et disparait. Sans préciser l'étendue ni la portée de ce pouvoir.  

Fuyard, encombré d'une mission dont il se serait bien passé et d'un mystérieux pouvoir, J'on va d'abord tenter de survivre dans ce monde hostile. Il va rencontrer Bom-Bom, grand singe velu, autre chair à canon, lui aussi échappé du carnage initial, puis sauvera G'wel, une autre Chninkel des sadiques gardiens des mines Kolds...
De mésaventures en pérégrinations, J'on découvrira son grand pouvoir et réalisera bien malgré lui une ancienne prophétie de son peuple qui attend un élu les délivrant tous. Car les Chninkels paient la faute originelle d'un roi, N'om l'hérésiarque, qui a voulu se substituer à tous les autres dieux.
Il explorera son monde à la recherche de biens improbables soutiens à sa mission désespérée. Tous les protagonistes qu'il rencontrera montreront successivement plusieurs visages, soutiens se révélant traitres, alliés surprenants, ennemis pathétiques au narcissisme cruel, jusqu'à entrer dans le non-monde où il trouvera N'om qui précipitera son destin.
 
Derrière un habillage de fantasy, Le Grand pouvoir du Chninkel est avant tout une charge implacable contre tous les pouvoirs, en particulier celui de la religion. Superbe texte désespéré, il s'ouvre sur une dénonciation des atrocités de la guerre, de toutes les guerres à travers des strips qui couvrent les premières pages.

Révolte contre l'asservissement des peuples, orchestrés tant au-dehors qu'au sein même des peuples, contre l'oppression sexuelle lors de la tentative de viol de G'wel par les Kolds, contre la barbarie militaire, contre la cruauté des dieux, des églises, contre l'aveuglement même des propagateurs du message de libération dont serait porteur J'on, Le Grand pouvoir du Chninkel est avant tout un grand hymne libertaire où surnagent, seuls, les courts moments de bonheur de la fraternité entre oppressés (Bom-Bom, l'ami fidèle entre tous).
Unique respiration à ce texte noir, très noir, le running gag de la frustration sexuelle de J'on face à une G'wel qui se dérobe au nom même de la grandeur de sa mission. Frustration qui trouvera son exutoire avec la plus improbable des partenaires...
Enfin, l'ouvrage se clot par un twist final assez inattendu qui renforce le pessimisme absolu de la vision de l'univers des deux auteurs, comme s'ils avaient voulu montrer l'envers de leur autre héros, Thorgal.

Truffé de références cinématographiques et picturales, Le Grand pouvoir est un régal pour les yeux et pour l'esprit qui relèvera toutes les allusions.
 
Formellement, Rosinsky est à l'apogée de sa technique en particulier dans les six premières pages qui vaccinent de toute fascination guerrière. En réalisant des strips contigus qui couvrent la page et lui impriment un dynamisme ahurissant, Rosinsky s'affranchit des cases bien sages de la bande dessinée. Malheureusement, à mon sens, il ne récidivera pas ailleurs, son évolution actuelle (depuis La Vengeance du comte Skarbek) modifie son tracé, se libérant du dessin pour tirer vers la peinture, floutant les limites de couleur. Je préférais pour ma part l'ancien dessin et regrette que les pistes initiées dans Le Grand pouvoir soient restés sans suite.
Van Hamme, pour sa part, livre peut-être un de ses meilleurs scénario, explorant une figure plus sombre du héros, le héros malgré lui (proche en cela de Thorgal), un individu lambda qu'aucune qualité morale semble sortir du lot particulièrement. J'on promène ainsi une figure mélancolique dans un monde si dur qu'il semble n'être là que pour broyer les êtres et réduire l'espérance à une vaine utopie.
 

À qui l'offrir ?


- il a sa place dans toute bonne bibliothèque ;
- au fan de BD, car c'est un classique, en noir et blanc (les premiers éditions furent en noir et blanc, la colorisation n'est que récente). Pour ma part, n'étant pas un puriste, je préfère la couleur, même si la couverture bleutée actuelle n'est pas terrible.
- idéal pour initier à l'esthétique fantasy, il permet de rassurer ceux qui ont besoin d'une référence à notre monde, la parabole étant évidente ;
- à partir de dix ans ;
- au témoin de Jéhovah qui vient toquer à votre porte.




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Pour prolonger la lecture :

 Si vous avez aimé Le Grand Pouvoir du Chninkel, vous aimerez peut-être :

- La série
Thorgal déjà présentée ici mais sutout . On retrouve un univers similaire tant graphiquement qu'en terme d'atmosphère. Thorgal est cependant un héros au sens positif du terme qui réussit à faire ployer le monde malgré le prix qu'il peut lui en coûter, J'on apparait plutôt comme un anti-Thorgal, un looser même pas magnifique, juste un brave type au destin tragique et finalement hors du commun. Les deux séries présentent cependant la même tonalité anticléricale, Le Grand pouvoir en étant la forme absolue.

 
 
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- Le traité d'athéologie de Michel Onfray. Si ces deux ouvrages sont dissemblables dans leurs contrats de lectures, ils partagent une même charge corrosive anti-ecclesiale.

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